Les mesures Covid-19 sont-elles une limitation illégale de la liberté d’entreprendre ? Non, maintient le Conseil d’État

1/ Depuis presqu’un an, une grande partie des entreprises belges est confrontée à de sérieuses restrictions de leur activité économique et certaines ont même été contraintes de fermer complètement, à la suite des mesures d’urgence décidées par les autorités publiques afin d’endiguer la crise sanitaire causée par la pandémie de coronavirus Covid-19.

Alors qu’au début de la crise sanitaire, ces mesures pouvaient compter sur l’appui d’une majorité des entrepreneurs, inquiets par la gravité de la situation et soucieux de participer solidairement au rétablissement collectif, aujourd’hui l’impatience et l’incompréhension règnent chez certains entrepreneurs. Plusieurs d'entre eux invoquent la liberté d'entreprendre pour contester la légalité des mesures.

2/ La liberté d’entreprendre est un principe considéré comme fondamental en droit économique. Elle implique que chacun soit libre d’exercer ou de ne pas exercer une activité économique, que l’accès à l’activité soit libre et que chacun soit libre de décider quelle activité est exercée, comment l’activité est exercée et si et avec qui il exerce une activité économique (en conséquence, qu’il puisse refuser de contracter ou d’exercer une activité).

Cette liberté n’est pas reconnue explicitement par la Constitution belge, mais est reprise dans les articles II.3 et II.4 du Code de droit économique. Les dispositions y afférentes laissent entendre que cette liberté n’est pas absolue, de sorte que l’autorité publique peut apporter des restrictions.

La question se pose cependant jusqu’où l’autorité publique peut aller dans les restrictions à la liberté d’entreprendre. Régine Feltkamp et Dodo Chochitaichvili mènent une réflexion sur la liberté d’entreprendre et dressent un inventaire des entraves possibles à cette liberté, en utilisant les différents critères des cours suprêmes belges (Cour de cassation, Cour constitutionnelle et Conseil d’État) dans un article à paraître bientôt dans la Revue de droit commercial belge (RDC/TBH - voir extrait).

3/ De nombreuses mesures actuelles visant à limiter la propagation du coronavirus Covid-19 étant basées sur un acte administratif (un arrêté ministériel), certains entrepreneurs ont décidé d’attaquer ces mesures, notamment par des recours en suspension devant le Conseil d’État. Jusqu’à présent et à notre connaissance, le Conseil d’État a, à chaque fois, débouté les parties requérantes qui invoquaient le moyen relatif à la violation de la liberté d’entreprendre.

Dans un récent arrêt du 24 février 2021 (n° 249.904), le Conseil d’État a maintenu cette position et rejeté le recours en suspension de l’arrêté ministériel du 6 février 2021 modifiant l’arrêté ministériel du 28 octobre 2020 portant des mesures d’urgence pour limiter la propagation du coronavirus COVID-19 qui prolonge la fermeture des bureaux de paris et ordonne une réouverture progressive de certaines autres activités.

Dans cette affaire, les parties requérantes critiquaient le fait que la fermeture des agences de paris relève de la suspension des droits fondamentaux qui est interdite par la Constitution. Elles critiquaient également qu’une telle fermeture constitue une restriction qui suppose le respect des principes de légalité, d’égalité, de finalité et de proportionnalité et qu’une restriction doit faire l’objet d’une interprétation restrictive. Elles expliquaient, par ailleurs, qu’une autre mesure moins restrictive de la liberté d’entreprendre aurait permis d’atteindre le but poursuivi dès lors qu’un protocole sanitaire spécifique aux agences de paris avait été mis en place.

A cet égard, le Conseil d’État a souligné, dans un premier temps, qu’aucune disposition de la Constitution ne consacre la liberté du commerce et de l’industrie ou la liberté d’entreprendre.

Le Conseil d’État s’est référé à la jurisprudence de la Cour constitutionnelle pour rappeler que la liberté d’entreprendre n’est pas une liberté absolue et qu’elle n’empêche pas les autorités publiques de restreindre l’activité économique des personnes et des entreprises. L’autorité publique ne porterait ainsi atteinte à la liberté d’entreprendre que si elle restreint cette liberté sans y être contrainte ou si cette restriction est disproportionnée par rapport à l’objectif poursuivi, ce qui prima facie, selon le Conseil d’État, n’était pas en cause en l’espèce.

Dans un deuxième temps, le Conseil d’État a rappelé la finalité de santé publique dont la légitimité n’était pas contestée par les parties requérantes, à savoir que les mesures de restrictions ont pour objectif de protéger la santé de la population et de ralentir et de rendre gérable la résurgence et la propagation exponentielle du coronavirus. Selon le Conseil d’État, les parties requérantes n'établissaient pas qu'une autre mesure moins restrictive de la liberté́ d'entreprendre aurait permis d’atteindre l'équilibre recherché entre des intérêts distincts et souvent conflictuels, ni que la mesure contestée porterait atteinte de manière excessive à la liberté d'entreprendre ou ne respecterait pas un juste équilibre avec la protection de la santé.

Sur la question de la proportionnalité des mesures, on relèvera que le Conseil d’État a considéré que toutes les mesures prévues par l'arrêté attaqué forment un tout indivisible et indissociable et que c'est au regard de cet ensemble qu'il convient d'apprécier la proportionnalité des mesures. En particulier, on notera qu’à la différence des autres arrêts dans lesquels le Conseil d’État concluait à l’absence de démonstration des mesures excédant les limites du raisonnable ou disproportionnées au but poursuivi, le Conseil d’État a, en l’espèce, constaté que l’autorité publique avait eu égard, dans le cadre de la recherche de l’équilibre et de son appréciation de la proportionnalité de l’ensemble des mesures, à la problématique de la santé mentale puisqu’elle avait décidé de procéder progressivement à la réouverture des professions de contact non médicales, observant ainsi que les bureaux de paris ne participent pas, selon l’autorité publique, au bien-être mental de la population dans son ensemble.

A voir si les cours et tribunaux civils suivront ce raisonnement.

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